Inktober J26 – Le cercle des victimes de la vie

Elle avait toujours vécu dans l’adversité. Il faut dire que c’était un discours qu’elle entendait depuis l’enfance : c’est toujours la faute de quelqu’un. 

Et les fautifs ne manquaient pas ! De toute façon, elle était persuadée que la vie ne lui voulait que du mal. C’était injuste mais c’était comme ça. Elle enchaînait galère sur galère, déception sur déception. Rien ne marchait. Tout était difficile. 

Il faut se battre dans la vie (elle ne s’en sentait pas la force). Quand on veut on peut (c’est à croire qu’elle n’y arrivait pas).

Elle avait dans son entourage beaucoup de gens dans le même état d’esprit. Ils passaient leur temps à se plaindre d’à peu près tout. Et quant aux autres de toutes façons, ils avaient surtout de la chance. Des forces qu’elle n’avait pas, des soutiens qu’elle n’aurait jamais. 

Elle était vouée à avoir une vie de merde, voilà tout. 

Et puis un jour, elle rencontra Mélanie au cercle des victimes de la vie. Contrairement aux autres membres, Mélanie ne parlait jamais des autres qui lui faisaient du tort. Elle parlait d’elle, de ce qu’elle ressentait, de ce dont elle avait besoin pour aller mieux. 

C’était passé inaperçu pour la majorité des autres membres qui n’avaient d’oreille que pour les critiques envers le système, les autres et les injustices. 

Mais dans la tête de Genevieve, ça avait fait bugger sa routine plaintive. Elle avait reconnu dans le discours de Mélanie des choses qui se passaient en elle… mais cela était très déroutant. Elle n’avait jamais ressenti ça. 

Au bout de la troisième séance, elle tenta la même chose. Cela faisait tout chaud dans son cœur. Pas la colère de d’habitude de déverser tous ses malheurs, mais une douce et chaude vague qui venait alléger ses épaules. Elle s’en sentait très perturbée. 

À la séance suivante, Mélanie était absente. Geneviève avait bien tenté la même manœuvre, mais les questions des autres l’avaient ramenée à sa douleur, qui s’était déversée comme avant. À la sortie, elle se sentait toujours aussi mal. Alors elle demanda au médiateur où était passée Mélanie. 

Elle a changé de groupe lui avait-il répondu, elle va dans celui du quartier d’à côté. C’est mieux pour elle. 

Dans la semaine qui suivi, Geneviève se sentait étrange, elle était de plus en plus désarçonnée par ce qui se passait en elle. À chaque fois qu’il lui arrivait un malheur, elle commençait à s’interroger su ce qu’elle ressentait et ce dont elle avait besoin… à la place de rechercher un coupable et les fautes qu’il avait commise. Et à chaque fois, c’est comme si un nouveau souffle lui redonnait le sourire, alors que la situation ne changeait pas. 

À la réunion suivante, un certain malaise s’était immiscé en elle. Elle se sentait maintenant en total décalage avec ses camarades. À la fin, elle demanda les coordonnées du groupe où était partie Mélanie.

La réunion était dès le lendemain. 

Ce soir là, elle arriva dans la salle et sentit déjà une grande différence dans l’ambiance générale. Les gens avaient le sourire… ils parlaient les uns avec les autres et se prenaient même dans leur bras. Tout semblait calme, apaisé et bienveillant. Rien à voir avec ce qu’elle connaissait. 

Au tour de table, chacun évoquait ses aventures malheureuses avec une facilité déconcertante à nommer les sentiments et états dans lesquels cela les mettaient et comment ils envisageaient d’y remédier. Les retours étaient soutenants envers les solutions possibles au lieu d’être enfonçants dans la charge portée à la cause. 

Geneviève était bouleversée. Pour la première fois, elle avait l’impression qu’elle pouvait influer sur le cours des événements de sa vie.

Avant de partir, Mélanie était venue la trouver pour la féliciter d’être venue jusqu’ici. Elle se sentait forte et remplie d’espoir, ce qui lui était totalement inconnu.