Inktober J13 – Nouvelle à boire ou à déguster…

Les gens débarquent au fur et à mesure. Elle est arrivée tôt parce qu’elle voulait aider. Aussi parce qu’elle déteste être en retard. Bon, d’accord, parce qu’elle n’avait plus rien à faire et qu’il faisait froid dehors.

Elle ne connaît personne. Les autres sont des amis visiblement de longue date, à en juger par la façon dont ils se charrient dès leur arrivée. 

Mais qu’est-ce qu’elle fait là ?

Gwen avait insisté : Tu vas voir ! On va bien s’amuser, et puis il faut que tu te changes les idées !

N’empêche que Gwen n’arrivait pas. Les gens viennent machinalement lui faire la bise : Bonsoir, « prénom »… auquel elle répond à l’identique et se retrouve de nouveau seule. 

Ah ! Ça y est, l’hôte sort enfin les bouteilles et les amuse-gueules. 

— Tu veux boire quelque chose ?
— Oui, volontiers merci. 
— Alors comment tu connais Gwen ?
— On fait du yoga ensemble depuis quelques années.
— Ah ouais ?! Je ne savais pas qu’elle faisait du yoga. 
— Et si.

Et la voilà avec un verre de blanc dans la main, riche de cette conversation, seule dans mon coin. 

Elle observe les couples qui entrent, prennent leur marque et semblent ravis de discuter de chatons téméraires, d’enfants récalcitrants et de N+1 incohérents. 

Son verre est vide. Elle profite d’une femme qui vient se servir pour remplir le sien. 

— Salut, moi c’est Lucie, t’es une amie de Sylvain ?
— Non, je suis une amie de Gwen
— Ah ouais ? Elle est où d’ailleurs ?
— Je ne sais pas. Elle devrait arriver. 
— Ok super. 

Elle se surprend à soupirer quand cette Lucie repart sans plus d’intérêt et vide son verre d’une traite. 

Il va falloir qu’elle mange. Si Gwen n’est pas là dans 5 minutes, elle s’en va.

Après quelques cacahouètes et chips, Sylvain revient au buffet avec un pain surprise. 

— T’en veux ?
— Oui merci. 
— Tu connais quelqu’un ici ?
— Non. 
— Gwen m’a dit que tu étais dans la com’
— Euh, oui on peut dire ça. 
— Tu fais des cartes de visite et des flyers ? Mon cousin lance sa boîte. 
— Alors… non. Je ne suis plus dans cette com’ là. 
— Ah, tu es dans quelle com’ alors ?
— Celle où les gens se parlent enfin de choses interessantes dans des
soirées. – C’était sorti tout seul…
— Ah ok. – silence… – Merde j’ai oublié les glaçons !

De nouveau seule, un coup d’œil sur tout ce petit monde occupé à comparer leur galère au boulot, elle attrape la bouteille et se resserre un 3ème verre.

Histoire de s’occuper, elle décide de passer en revue tous les tableaux du salon. Ce Sylvain a un certain goût pour l’art, autant en profiter. 

— Cette soirée est nulle n’est-ce pas ?

Sylvain est revenu près d’elle. 

— Oh je ne me permettrais pas de la juger si sévèrement, tes amis ont l’air contents de se retrouver. 
— Oui mais toi tu t’ennuies. 
— Disons que je manque un peu de stimulation sociale enrichissante, mais ton blanc est bon, il fait bien chaud et tes tableaux sont intéressants, à ce train là je danse seule sur la table dans moins d’une heure. 

Sylvain éclate de rire. 

Il lui resserre un verre. 

— Eh bien moi je suis ravi que Gwen t’aies invité. Ça faisait bien longtemps que je n’avais pas rencontré une nana comme toi. 
— Une nana comme moi ? Le ton qu’elle avait employé avait fait changer le visage de Sylvain. 
— Une femme comme toi je veux dire…
— Tu ne me connais pas pourtant 
— Non, mais ta réponse me plaît beaucoup. Il jette un regard à son groupe d’ami de l’autre côté de la pièce. 
— Est-ce que tu veux bien m’attendre ici ? J’ai un truc à faire mais je reviens juste après. 
— Euh, oui, au point où j’en suis.

Elle ne peut retenir un sourire, son corps commencait à faire n’importe quoi…

— À la tienne !

Ils trinquent. Elle boit une gorgée, sentant qu’il faut qu’elle s’arrête là.

Lui boit son verre cul-sec. Il se dirige vers la chaîne hi-fi, coupe la musique et monte sur la table basse.

— Les amis ?!

Tous s’arrêtent de parler et se tournent vers lui. 

— Je suis désolé de vous avoir fait vous déplacer pour si peu mais j’ai besoin que vous me laissiez seul. C’était trop bien de vous voir. Je vous propose qu’on remettent ça une autre fois.

Elle observe la scène depuis la table du buffet. Il est quasi intact. Elle est surprise, amusée mais surtout très intriguée.

Après quelques contestations et tentatives d’avoir plus d’explications, le petit groupe s’en va en accaparant Sylvain qui tient la porte d’entrée ouverte.

Elle vide finalement son 4eme verre de blanc, prend un morceau de pain surprise et se dirige vers le porte-manteau qui laisse maintenant apparaître son anorak et son écharpe. 

Ses gestes sont lents. Elle n’arrive pas à savoir si c’est l’alcool ou quelque chose d’autre qui la retient de se dépêcher…

— Pouhhh, je n’avais jamais fait ça avant ! Ça fait un bien fou !

Elle a son écharpe autour du cou, et son anorak dans les mains. 

— De quoi parles-tu ?
— De virer tout le monde parce que j’ai envie d’être seul.  
— Ah oui, répondre vraiment à ses besoins c’est un truc assez dingue en effet. 
— Mais ouais carrément !

Elle met son anorak. 

— En fait j’avais surtout envie d’être seul avec toi. Est-ce que tu veux bien rester ?

En une fraction de seconde, des tonnes de phrases contradictoires se bousculent dans sa tête, légèrement embrouillée. Elle se sent bien, en confiance, ce qui ne lui pas arrivé depuis longtemps. Et l’attitude surprenante de Sylvain pique sa curiosité.

— Ok, mais pas longtemps alors, parce que ton vin blanc commence sérieusement à faire effet et je suis en vélo.
— Ah… et bien regarde on a tout un buffet pour éponger. 

Elle repose son anorak et son écharpe. Elle prend l’assiette pleine que lui tend Sylvain et le suit vers le canapé. 

Ils s’assoient.

— Alors, raconte-moi ta version d’une bonne soirée entre amis s’il te plaît, ça m’intéresse beaucoup. 

Elle explose la tomate cerise qu’elle a dans la bouche et éclate de rire avant de le regarder dans les yeux. Il est visiblement sérieux.

L’alcool commence enfin à se dissiper et elle retrouve petit à petit toute sa lucidité. 

Cette soirée est décidément étonnante. Mais où est passée Gwen ? Est-ce qu’elle avait prévu ce qui était en train de se passer ?

Finalement peu importe, cette rencontre improbable était délicieuse… autant que ce jus d’orange frais qu’il venait de lui presser quand le soleil s’est levé.